Les ‘chevaux’ du KMSKA sortent de mois de restauration. Ils étaient entre les mains expertes de Derek Biront de la société Metafose. Un entretien sur la restauration, la technique de Vinçotte et un travail minutieux.

Pourquoi la restauration du groupe statuaire s’imposait-elle?

Biront: “Ce qu’ignorent la plupart des gens, c’est que ces chevaux ne sont pas en bronze. Ils sont constitués de plaques de cuivre fixées sur un châssis métallique. Ils avaient déjà été retirés du toit et entièrement démontés pour restauration en 1977. On s’aperçut alors que la structure intérieure était entièrement rongée par la rouille. Ce n’était naturellement pas bon pour la stabilité de la statue. C’est du reste typique de ce type de sculptures. La même chose a été constatée sur la Statue de la Liberté de New York. Le musée avait alors remplacé le cadre métallique des chevaux par de l’acier inoxydable. Cette restauration de 1977 a été plutôt bien faite, mais les ailes des femmes se tenant sur les chariots n’ont pas été suffisamment renforcées. Par définition même, les ailes sont très sensibles au vent et les points de soudure entre les ailes et le dos et les épaules étaient soumis à de très fortes pressions. La structure intérieure ne pouvait plus soutenir l’ensemble et des déchirures étaient apparues dans le cuivre, qui devaient d’urgence être réparées.””

la pression exercée sur les points de soudure entre les ailes et les épaules a causé des déchirures dans le cuivre - Photo: Nora Chaoui
La structure intérieure en acier inoxydable. - Photo: Nora Chaoui

Les deux statues étaient dans le même état?

Biront: “Non, le groupe statuaire nord (à gauche face au musée) avait déjà été restauré en 2009 pour des dommages causés par une forte tempête. Il était suffisamment consolidé. Nous avons toutefois dû faire là aussi des réparations.”

Vous avez aussi décapité les sculptures. Pourquoi?

Biront: “Les sculptures sont faites de divers éléments réalisés en cuivre repoussé et monté selon un ordre précis. La tête est un des derniers éléments. Nous avons donc dû la retirer pour démonter une autre pièce. Un grand problème lié à ces têtes, c’est qu’elles plaisent particulièrement aux oiseaux, et les fientes ont fini par attaquer la couleur de la matière.”

La tête d’une des statues dans l’atelier Metafose. - Photo: Cleo Cafmeyer
La sculpture sud, sans tête. - Photo: Karin Borghouts

Plan d’approche

Comment vous y êtes pris concrètement?

Biront: “Nous avons d’abord étudié les éléments en détail. Jusque-là, nous n’avions pu les inspecter que de la cabine d’une grue. Nous n’avions alors pu atteindre que le groupe statuaire sud, celui de la partie nord était inaccessible. Nous devions donc dresser un tableau complet des dommages subis par les sculptures. Nous avons alors élaboré un plan d’approche. Il nous a ensuite fallu démonter les pièces une à une pour les réparer dans notre atelier. Il s’agit de quatre ailes et deux mains. Ces mains tiennent une couronne de lauriers qui avaient perdu des feuilles. Les jointures des ailes étaient à ce point affaiblies que nous n’avons pas pu les ressouder. Nous avons réalisé un moule sur place et, sur base de ce moule, produit de nouveaux éléments en cuivre dans notre atelier. Puis nous avons réparé les joints des ailes. Nous avons aussi découvert qu’il y avait encore des éléments métalliques dans les chevaux. Leur état de conservation était plutôt satisfaisant. Un principe de base de la restauration d’œuvres d’art est de conserver autant d’éléments originaux que possible. Nous n’avons donc pas remplacé les éléments en fer mais nous les avons restaurés en retirant la corrosion et appliquant une peinture inoxydable. Cela a représenté le gros de notre travail. On a aussi constaté des petites perforations et fissures. La dernière étape a constitué à remonter le tout.”

Étapes de la restauration - Démontage des ailes des statues. Photo : Nora Chaoui
Étapes de la restauration - Moule de reconstitution d’un morceau d’épaule. Photo : Cleo Cafmeyer
Étapes de la restauration - Les mains tenant la couronne de lauriers ont également dû être restaurées en atelier. Photo : Cleo Cafmeyer
Étapes de la restauration - Vue de l’intérieur d’un des chevaux. Photo : Derek Biront

En quoi consistent ces travaux?

Biront: “Le nettoyage général de la surface des sculptures. Le vert clair qui la recouvre est une forme de corrosion. Rien ne peut rester aussi durablement stable que cette couche. La retirer complètement ou en faire quelque chose n’a donc aussi sens. De surcroît, l’œil du public s’est habitué à cette couleur verte. Les statues paraîtraient très étranges si elles prenaient une teinte cuivre. La seule chose que nous faisons, c’est d’enlever les taches trop visibles. Mais nous les laissons dans les recoins car elles renforcent l’effet sculptural.”

Têtes rugueuses, belle robe des chevaux

Trouvez-vous en fait que le Triomphe des Arts est une belle œuvre d’art?

Biront: “Le restaurateur porte un regard professionnel sur une œuvre d’art. Je juge surtout de sa beauté à l’aune de la qualité de sa facture. Un restaurateur peut parfois être déçu par une œuvre qu’il admirait jusque-là. C’est parfois tout le contraire qui se produit et on se rend alors compte qu’une œuvre dont on n’appréciait pas particulièrement l’esthétique est remarquablement faite.”

"Les sculptures sont faites pour être admirées de loin. Cela a naturellement un impact sur leur degré de finition. Vinçotte a pourtant rendu la robe des cheveux en dessinant des milliers de crins. "
Derek Biront, Metafose

Et qu’en est-il dans le cas des sculptures de Vinçotte?

Biront: “Elles suscitent chez moi un sentiment mitigé. Il ne faut pas oublier qu’elles étaient conçues pour être vues de la rue. La grande distance a un impact direct sur leur degré de finition. Et pourtant la robe des chevaux est rendue par des milliers de petits crins qui ne sont visibles que de près. Les têtes des deux figures féminines sont très peu travaillées, ce qui ne ressemble pas beaucoup au style de Vinçotte. Il voulait en fait les couler dans le bronze. Le cuivre repoussé coûte moins cher, mais se prête aussi beaucoup moins au détail.”

En détail - La robe des chevaux est rendue par des milliers de petits crins uniquement visibles de près. Photo : Derek Biront

Quel est votre prochain projet à l’issue de cette restauration?

Biront: “Nous travaillons aussi sur les obélisques en cuivre de l’Hôtel de Ville d’Anvers et nous avons quantité de projets en cours au musée Middelheim. Nous n’allons pas manquer de travail.”

 

La restauration du Triomphe des Arts n’est qu’une portion du chantier des façades. Le chantier est coordonné par le bureau d’architectes Karel Breda et réalisé par Artes Woudenberg.