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Un récit de voyage extraordinaire

PAR SISKA BEELE

Au XVe siècle, dans l’art des Primitifs flamands, le paysage servait encore principalement de toile de fond aux scènes religieuses. À partir de 1500, il prend davantage d’ampleur : l’arrière-plan devient premier plan. Les récits bibliques deviennent alors des prétextes pour représenter la nature. Dans les anciens Pays-Bas, Joachim Patinir — l’auteur de ce paysage — est considéré comme le premier véritable peintre de paysages. Albrecht Dürer, dans le journal de son voyage aux Pays-Bas, et Karel van Mander, dans son Schilder-Boeck, le citent comme un maître des paysages purs et magnifiques.

Jeu d’espace et de temps


Dans ce tableau à peine plus grand qu’un format A5 horizontal, Patinir nous invite à contempler la grandeur et la diversité du monde de Dieu, et à laisser notre regard vagabonder parmi les innombrables détails. Animaux, maisons, personnages, scènes de la vie quotidienne — tout est minutieusement peint au pinceau le plus fin, parfois à la loupe. Le panneau illustre le récit biblique de la fuite en Égypte. Peu après la visite des rois mages, un ange du Seigneur apparaît à Joseph dans un rêve : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste-y jusqu’à ce que je te le dise, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » (Matthieu 2,13)

Au premier plan, à hauteur de regard, la Sainte Famille gravit précipitamment une pente vers un lieu plus sûr. Comme dans une bande dessinée, l’artiste joue avec le temps et l’espace : à l’arrière-plan, se déroule le massacre des Innocents à Bethléem. Les soldats d’Hérode tuent impitoyablement tous les garçons de moins de deux ans. Des mères supplient avec désespoir. Voilà pour la partie biblique.

Détail : La Sainte Famille

Joachim Patinir (1516- 1517) - Paysage avec la fuite en Égypte - Détail : La Sainte Famille

Détail : Le Massacre des enfants innocents

Joachim Patinir (1516- 1517) - Paysage avec la fuite en Égypte - Détail : Le Massacre des enfants innocents

Mais Patinir connaît aussi les récits apocryphes — non reconnus officiellement par l’Église — et les légendes populaires.À gauche du massacre, des soldats interrogent un paysan. Celui-ci raconte honnêtement que la Sainte Famille est passée pendant qu’il semait. Cela doit faire un moment, pense-t-on. Mais le blé a miraculeusement mûri en une nuit, doré à souhait, trompant ainsi les soldats, qui rebroussent chemin.

Mars renversé de son piédestal


Un autre miracle vous échappera si vous ne faites pas attention. La fuite en Égypte s’achève avec l’arrivée de Jésus à Héliopolis, où sa puissance divine se manifeste pour la première fois. « Lorsque le Seigneur entra en Égypte, tous les idoles tombèrent », écrit Jacques de Voragine dans sa Légende dorée. En haut à gauche, sur un rocher escarpé, Patinir peint une statue païenne en or du dieu romain Mars. À l’instant où Jésus passe, l’idole s’effondre de son piédestal.

Un petit chef-d'œuvre vieux de cinq cents ans, riche en merveilles visuelles et récits cachés — avec, en son cœur, un voyage extraordinaire.

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Cet article est paru précédemment dans ZAAL Z, le magazine du musée. Pour 35 euros à peine, vous recevez déjà quatre éditions qui vous plongent dans l'univers fascinant du musée et de sa magnifique collection.

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