ZAAL Z

Le Mandrill

PAR NATHALIE PAUWELS

Non en cage, mais prisonnier, vraiment lui-même ?
 

Son regard, à force de longer les barreaux,
est devenu si las qu’il ne voit plus rien.
Il lui semble qu’il y a mille barreaux
et derrière ces mille barreaux – rien.

 

Par ces vers, le poète allemand Rainer Maria Rilke ouvre son poème La panthère. Le ton est immédiatement donné. L’animal en cage – dans un zoo parisien – tente de se libérer de l’ennui et des contraintes de sa captivité en tournant en rond dans l’espace réduit qui lui est accordé.

Le contraste avec Le Mandrill d’Oskar Kokoschka (1926) ne pourrait être plus frappant. Le singe du zoo de Londres est tout autant prisonnier que la panthère de Rilke. Pourtant, Kokoschka le peint comme s’il était libre. Rien dans le tableau ne fait allusion à son existence en cage. Les couches épaisses de peinture aux couleurs vives soulignent la personnalité impressionnante du mandrill. « En le peignant, j’ai vu : c’est un être sauvage, isolé, presque mon reflet. Quelqu’un qui veut être seul », a déclaré Kokoschka à propos de sa source d’inspiration. Les animaux le fascinaient, et il semble qu’il s’y reconnaissait parfois.

Le Mandrill est l’une des œuvres les plus appréciées du public au Musée Boijmans Van Beuningen. Maintenant que le musée est fermé pour rénovation, le KMSKA a pu présenter une sélection de huit œuvres issues de la collection de Rotterdam à l’occasion de sa réouverture. Elles resteront cinq ans à Anvers. Le singe populaire – qui fêtera ici son centenaire – est exposé dans la salle Imago, aux côtés de portraits de citoyens distingués et d’enfants du XVIIe siècle. Ces derniers montrent généralement le rôle social que les personnes représentées souhaitaient jouer à leur époque. Ainsi, ils semblent fortement contraster avec Le Mandrill. Un singe avec un rôle social semble être une contradiction. Mais l’est-ce vraiment ? Si Kokoschka se reconnaissait dans ce singe indompté, peut-être ce tableau révèle-t-il la façon dont l’artiste percevait sa propre position. Kokoschka allait à contre-courant de son temps autant qu’il le pouvait, et reconnaissait ses côtés sombres. Il fit même fabriquer une poupée grandeur nature de son ex-compagne Alma Mahler.

Sélection de huit œuvres de la collection de Rotterdam exposées au KMSKA.

Sélection de huit œuvres de la collection de Rotterdam exposées au KMSKA.

Le Mandrill

Oskar Kokoschka (1926) - Le Mandrill

Le Mandrill entretient des dialogues dynamiques avec les autres tableaux de la salle. Le garçon pêcheur de Frans Hals semble tout aussi imperturbable et authentique que le singe. Certains adultes paraissent sortir un peu de leur cage picturale rigide. D’autres contrastent au contraire de manière plus marquée avec le mandrill ‘libre’, et restent figés, leur visage fermé, derrière les barreaux qu’ils se sont choisis. Qui ici est vraiment lui-même ? Qui passe ses journées dans l’ennui d’un carcan inévitable ? Qui ose être le rebelle Kokoschka ?

Cet article est paru précédemment dans ZAAL Z, le magazine du musée. Pour 35 euros à peine, vous recevez déjà quatre éditions qui vous plongent dans l'univers fascinant du musée et de sa magnifique collection.

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