Peindre avec de l’air

Un tableau rond, d’un bleu matinal, trône dans un cadre carré monochrome. En tant qu’œuvre totale, il s’agit d’un portrait moderniste de la lumière (matinale) — qui baigne non seulement dans des nuances subtiles de couleurs et de tonalités, mais s’inspire aussi de riches traditions culturelles occidentales et orientales. Jef Verheyen (1932–1984) les a étudiées et réunies.
L’idée de « lumière »
La forme du tableau rappelle un oculus, mais aussi un tondo : une peinture circulaire. Ce sont particulièrement les artistes de la Renaissance italienne qui en ont fait de magnifiques exemples.
Le cercle et le carré sont des formes fondamentales dans l’art abstrait géométrique occidental. C’est pourquoi Matin illustre parfaitement que Verheyen est un adepte du changement de paradigme effectué par les artistes modernes dans le premier quart du XXe siècle : du voir à la pensée. D’une vision « physioplastique » à une vision « idéoplastique », comme l’a exprimé le poète Paul van Ostaijen, qu’il admirait.
Cela signifie que Verheyen, également connu comme « peintre de la lumière », emprunte des chemins moins familiers que d’autres maîtres modernes portant le même surnom. Contrairement, par exemple, à James Ensor ou Claude Monet, Verheyen s’intéresse moins à la représentation naturaliste de la lumière observable. Son intérêt pictural porte plutôt sur la représentation sublimée de l’idée de « lumière ».
Le sublime, Verheyen le place dans la tradition du célèbre Promeneur au-dessus des brumes de Caspar David Friedrich. Mais en tant que peintre conceptuel, il travaille toujours dans son atelier, où il rêve de lumière et d’air pur à travers des couches de peinture très fines, presque glacées. C’est « comme s’il peignait avec de l’air », disait le peintre abstrait Serge Poliakoff dans les années 1960.
Ouverture d’esprit
Verheyen partage aussi quelque chose avec un moine zen bouddhiste ou taoïste, qui attribue des dimensions spirituelles non seulement à l’acte de peindre mais aussi au regard porté sur un tableau. Dans les anciennes traditions méditatives taoïstes, fixer le vide — ou les profondeurs infinies — des peintures monochromes (paysagères) est considéré comme une expérience radicalement apaisante et ouvrant l’esprit. Le fait de « s’arrêter » littéralement devant des espaces picturaux ouverts est perçu comme un chemin vers la conscience intérieure. Une manière d’entrevoir les flux énergétiques intangibles de la vie.
Le dialogue entre le cercle et le carré en fait partie intégrante. Le carré représente le terrestre, le stable et le rationnel. Le cercle, quant à lui, symbolise le céleste, l’infini et le spirituel.
À la recherche de l’équilibre et de la croissance intérieure, la vie consiste en un dialogue harmonieux entre les deux. Verheyen l’a bien compris et a merveilleusement tenté de le représenter.